Le Collectif Bienvenue, composé des artistes Margot Darvogne, Louise-Margot Décombas, Richard Otparlic, Lily Lucas Tortolano et Typhanie Vallée, présente au Houloc une exposition sur le banquet et le bal, des thématiques où la dynamique du groupe est vertueuse. Les artistes ont fondé leur collectif et leurs expositions sur la mise en commun de leurs pratiques qui s’enrichissent par l’invitation d’une multiplicité d’artistes et performeur.euses. Au cours de cette exposition, seront présenté.es au côté du collectif : Irene de las Estrellas Abello, Pö, Jordan Roger, Camille Soualem et Sarah Konté.

Entre ripaille et soirée moite des boîtes de nuit, le collectif nous invite à s’immerger dans un monde haut en couleurs, surprenant de figures étranges et galvanisantes. Rendez-vous à la salle principale où le banquet nous attend, installé sur une table produite par les cinq artistes. Il n’est pas sûr qu’on y mange. Vous êtes là pour songer, vous imprégner et faire des rencontres incongrues auprès de pièces anthropomorphiques. Une ambiance baroque recouvre les lieux aux esthétiques hybrides. Entre la royauté et les bals de promos des teen movie américains, l’enchantement décalé emprunté au film Peau d’âne (1970) et le chaos camp inspiré du film Desperate Living (1977) de John Waters. La déambulation rayonne par le kitch et l’opulence manoriale, le fond sonore immergeant et les jeux de lumière. Le total relâchement, la pause enivrée, se déroulent au boudoir, lumière tamisée pour un moment d’intimité. De porte en porte, vous débouchez sur une salle aux allures de boucherie, recouverte de bâches, où le corps devient chaire crue à embrasser.

La fête nocturne tente une échappée vers l’espace d’exposition, tel que le collectif l’avait expérimenté à la Cyberrance (Si la lune a comme un air de fête, en 2022). Ce banquet alternatif éveille des envies de confessions, de danses désinhibées et de rapprochements corporels. Il est cet espace de liberté et d’abandon en rupture des mécanismes de dominations. Aucun code n’est figé et forcé, tout est indéfini. Vous faites aussi bien partie d’un banquet familial que d’une fête queer. Cet état de fluidité de l’événement se forme aussi grâce à de multiples chimères, entre inconscient, monstruosité, enveloppe, excitation, fantasmagorie. Les productions se rapprochent ainsi de l’abstraction excentrique qui, selon Isabelle Alfonsi, “se définit d’abord par une impression sensuelle face aux œuvres : le “désir de caresser”, un mélange d’attraction et de répulsion éminemment érotique qui montre aussi l’intimité de son rapport aux œuvres1”.

Des îlots de réunions amicales (confident, sofa, chambre) incitent aux connivences utopiques. Il est question de visibilité et d’empowerment, à la manière du Dinner Party (1974-1979) de Judy Chicago, une grande tablée triangulaire d’artistes femmes. Des performances qui iront de la scène drag à la récitation de poème en passant par la danse, exalteront la communion. Le banquet devient alors une grande scène de théâtre du genre2. Dans la lignée de l’artiste américain Félix González- Torres et de sa performance Untitled” (Go-Go Dancing Platform) (1991), les artistes donnent corps à des plaisirs furtifs, intenses et salvateurs, qui stimulent l’affirmation d’une communauté exposée aux répressions sociales et familiales. L’exposition est ainsi pensée comme un moment d’expression militante joyeuse et de convivialité au sein d’une maison où vous êtes votre propre invité.e.

Adélie Le Guen Critique d’art, chercheuse indépendante,

fondatrice d’ARTISTES MANIFESTES et médiatrice-conférencière

1 Isabelle Alfonsi, Pour une esthétique de l’émancipation. Construire les lignées d’un art queer, Paris, Éditions B42, 2019, p.79.
2 Référence à Anne Emmanuelle Berger, Le Grand théâtre du genre. Identités, sexualités et féminisme en Amérique, Paris, Éditions Belin, 2013.